Le compagnon du mort
portait chaînes et clés
et ses yeux liquides
faisaient pitié.
Le diacre semblait
endormi dans l’ouate
grise de chagrin
c’était un temps de tempête
et l’eau ruisselait
dans le cou de témoins
le mort était absent
pour l’autopsie.
Serge Meurant, 2020
En temps de pandémie
La pandémie n’a épargné personne.
Les croix manquent et le nom des morts.
Nul cortège ne les accompagne.
Hier seuls les indigents
Étaient jetés en hâte dans la fosse.
Aujourd’hui, ils sont mille et les mots manquent
pour dénoncer l’abandon d’humanité.
Serge Meurant, carnet du 1er mai 2020
Toussaint, alias Raimy 63 ans
Tu as sûrement emporté avec toi
ton tabasco, quelques pennies et une petite bière.
– Et maintenant, qu’allons-nous faire
de tout ce temps que sera la vie sans toi ?
Alexandre, 23 ans
Tu avais envoyé à ta maman un mail de bonne année.
Elle n’a pas eu l’occasion de venir
voir ton logement. Rendez-vous manqué ?
– Ta présence dans un croisement de rayons de lumière.
Thomas, 38 ans
Ces quatre petits vers peinent à te donner une mémoire,
un passé, un adieu. On sait si peu de toi.
Tu es parti au cœur de l’hiver – que ces mots
gardent à jamais la chaleur de ta présence.
Ewa 48
Ton nom, ton âge, et le jour et lieu de ton décès.
C’est tout ce que l’on sait.
La rue de la Rasière reste à jamais déshabitée de toi –
inondée par ta lumière.
Yassine 47
On ne sait pas comment écrire ton nom avec exactitude,
et la date possible de ta naissance fluctue
entre le 73 et le 78 – que ces quelques mots
donnent à ta mémoire une avalanche pleine de vie.
Sophie 50
Tu aimais lire, au soleil, et discuter
avec tes voisins, surtout ceux qui avaient des animaux.
On dirait que tu es toujours là –
installée sur ce banc de la place Dailly.
Pascal, 39
Tu prenais le temps de partager
ton histoire, ton enfance,
avec douceur et apaisement.
– Ton sourire, ton rire, ta voix, tes poèmes.
Yannick, 53
La spirale de tous tes chemins
se prolonge comme une flamme.
Tu pars –
pour rester éternellement attendu.
Michel, 65
Toujours prêt à donner un coup de main
avec le sourire.
Toujours blagueur, tu aimais être entouré
– mais tu gardes à jamais le mystère de ta vie.
Jean-Marc, 50
sur la scène où tu chantais
tes combats, tes amours
dorment aujourd’hui pour toujours
les démons qui te hantaient
Alain, 59
ici ou là, tu ne restais pas
homme du dehors
peut-être n’avais-tu que le vent
comme seul appui
Ahmed, 44
de ta ville natale
les oranges au goût sucré
en ta mémoire peut être aussi
l’amertume de leur peau
Philippe, 69
toi l’artiste farfelu, poète de grands parcs
marcheur infatigable, aux révoltes radicales
l’as tu vu venir, l’aurais tu choisi,
ton dernier arrêt , celui d’un tram ?
Pascal, 49
tu n’étais pas si loin
tu n’étais pas tout seul
de lieu en lieu
de lien en lien
Patrick, 49
Tu rêvais de vert et de vent
souriant, généreux
Ce qu’on a dit de toi
A ton fils inconnu
Amadeo, 48
tu es parti si vite
tu as surpris le monde
il t’entend encore
chanter, raconter
Eric, 63
je me souviens
de la musique et des heures, du noir des soirs
ton caractère fort, les traits de ton visage
restent à ceux que tu aimais
Germano, 46
Niets kon jou storen. Altijd lachte jij.
De dood sloeg toe. Te vroeg. Maar je bent vrij.
We zullen je hulpvaardigheid wel missen.
Waar je ook bent, groet kalm onze stampei.
Adam, 58
Des cases blanches derrière une histoire
ainsi donc se dresse ton miroir
multiples reflets témoin d’une vie
c’est vers la Pologne que l’on te rapatrie
Cédric, 33
les plus belle notes vont t’accompagner
t’aider enfin à pouvoir cicatriser
sur ta route semé d’obstacle
c’est à la clinique sans soucis que tu donnes ton dernier spectacle
Petit Daniel, 42
petit Daniel traîne ses guêtres porte de Namur
fini la crainte du froid les engelures
le ciel et ses nuages te prendront dans ses bras
pour un confort que tu n’as pas trouvé ici bas
Pascal, 60
c’était le moment de tirer ta dernière carte
devant ton immeuble, tu restais de marbre
y entrer, pas la peine, tu préfères rester devant
continue à raconter tes histoires dans un dernier élan .
Jules, 70
les voix du seigneur sont impénétrables
même quand on habite rue de prêtres
l’existence jusqu’au bout reste un mystère
la quête continue même dans l’au delà
Mohamed, 65
Mohamed on se connait pas
j’ai des mots pour t’accompagner
des gens t’attendent ailleurs
bras tendus dans l’éternité
Alexandru, 64
au son de l’harmonica, tu faisais danser les pavés
en Italie se trouve ta fille et ta moitié
d’humeur joviale, on se rappelle de toi
des mots, une mélodie pour ton dernier départ
Guy, 55
Ze kenden je bij Puerto, Guy, Spaans woord
voor haven. Je mag eindelijk van boord.
Op elk gezicht kon jij een glimlach toveren.
Meer aan en weet: dit is voor mij. Dit oord.
Jean-Pierre, 66
Sourire malgré les aléas imprévisibles
rester fort même face à l’indicible
Jean Pierre, je m’inspire de tes mots
“rester vivant, ne pas devenir des soldats de plomb”
Pullumb, 56
Pullumb l’albanais qui parlait bien français
On dit que tu étais mince
comme la vie qui fait silence sur toi
Ta vie s’est terminée à Saint-Pierre
Muriel, 27
Muriel, éclipse de 27 ans
Tu laisses trois enfants et des questions
Il reste quelques lignes qui te cherchent
Ta foi en guise de souvenir
Henryk, 52
Henryk je sais que je t’ai vu
Tu es probablement mort dans ma rue
Je vais aller prier pour ta tranquillité
Et l’élévation de ton âme au-dessus du bitume
Abdallah, 43
Monsieur Abdallah, votre cœur ne bat plus
Quelques mots lancés vers votre au-delà
Monsieur Abdallah, vos jours étaient comptés
Pensées vers vos enfants
Stephan, 43
Stephan, de gekroonde, jij was je naam.
Een stralenkrans, een lichtlichaam
dat de zon met zijn hoofd ving
om door te geven in koude straten. Een halo. Een lichtkring.
Ayyub, 69
Ayyub inhumé au Penjab
Et au delà de tout ce qui s’appelle la terre
Tu as eu une maison en Belgique
J’espère que tes jours y furent heureux
Lætitia, 48
Lætitia, je regardais souvent ton visage
affiché un temps place de la monnaie
tes yeux qui fixent et le sourire en coin
cette photo de toi, je la tatoue sur nos rétines
Metin alias James, 54
Tu as choisi un surnom d’agent secret
James l’homme en costume près du Botanique
Ton corps est reparti en Turquie
La tristesse de ta perte hante nos rues
Didier, 48
Didier tu n’étais pas solo
Tu rassemblais des affaires pour d’autres
Qui ont transmis la triste nouvelle
On dit que tu étais un homme reconnaissant
Jean-Jacques, 80
Un jour, l’illumination est venue ;
tu étais mort depuis des années, sans le savoir.
Toi seul pouvais supporter cette fiction.
« Plus jamais », as-tu dit avec colère.
Osman, 52
Des tentacules invisibles
te serrèrent la gorge
coupant le passage de l’air,
ouvrant un temps sans lumière.
Rudy, 57
Transformant le paysage,
une brise siffle aux oreilles
et change notre regard sur le monde,
annonçant le crépuscule final.
Tarik, 41
Maintenant, quand il ne reste plus rien ;
Maintenant, dis-moi, si on a fait fausse route.
Dis-moi, aussi maintenant, quoi choisir,
quelle subtile déviation, maintenant, à la fin.
Leszek, 61
Dans de longues après-midis à la porte d’Anderlecht,
partageant conseils et sourires,
tu avais encore la force de déplacer le monde
assis sur ta chaise roulante.
Vanco, 59
Dat grote lichaam van jou: een schip.
Met handen om in te verdrinken.
En een glimlach als een golf –
Aangemeerd op je gezicht van eb en vloed.
Omar, 48
Un soleil splendide,
un silence confortable.
Et tout soudainement :
la tristesse d’un jour sans toi.
Mohamed, 22
En un éclair, s’ouvrirent les veines,
jaillit le parfum de la jeunesse,
et tout ton monde s’effondra :
spectacle de l’inconstance.
Patrick, alias Pat le Gitan, 42
Comme un oiseau qui migre chaque jour,
un bluesman à la Gare Centrale
délimite un territoire de fiction,
dansant avec ses chiens chéris.
Yves, 55
Waarom liep jij zo ver om dood te gaan?
Tot Genk? Wie was er om je bij te staan?
We weten over jou iets vaags, een nevel,
als in een zwarte nacht een zwarte zwaan.
Farid, 60
Elk mens heeft recht op wat geluk, Farid,
dat was je groot verhaal, zo klonk jouw lied.
We zien je spoor daar in de lentewolken.
Wie jou gehoord heeft, die vergeet je niet.
Florian, 34
Je rode rugzak en je stoppelbaard,
je grappen en je vriendelijke aard,
de boomgaard waar je stierf weet het heel zeker,
ze hebben onze dagen opgeklaard.
Frederic, 52
Je schreef verhalen en je leerde anderen lezen.
Je werd bedrogen, weggepest en nagewezen
omdat je homo was. Dat is voorgoed voorbij.
In ’t hemelse archief hoef jij niets meer te vrezen.
Robert, 49
Uit de Donauvlakten kwam je naar ons land.
Je bent beland hier aan de kwade kant
en tóch bleef je je medemens vertrouwen.
Dat blijft een al te zeldzaam onderpand.
Virginie, 39
Je had een dochter, ach, hoe lang geleden?
Niet lang. Je leven werd snel afgesneden.
Je hoeft niet meer te zwerven, Virginie.
Je hebt voorgoed het rijk van rust betreden.
Eugeniusz 63
Je stierf zoals je leefde.
Je stierf zolang je leefde.
Je stierf zonder te leven.
Je stierf.
Zomaar.
Geleefd.
Lazé, alias Louisa 53
Zoals de aarde: anoniem.
Zoals de lucht: verlaten.
Zoals de dieren op de loop
Voor de dood in het heimelijke, holle bos.
Jiji, 40
Jij bent gestorven, Jiji, in de kring
van je familie. Dat is niet gering.
Je wist wie waakte bij je laatste uren,
voor deemstering een laatste koestering.
Axel, 65
Te worden gedragen nu
door open armen van aarde,
Meneer Inconnu alias Axel,
altijd op reis in verhalen.
Fatima, 64
Votre terre d’Agadir avait bien trop tremblé,
Vous l’aviez fuie puis trouvé refuge en Flandre,
vous avez fait Escale à Bruxelles, dans ses méandres
bien trop tôt, le destin vous a tricoté une paire d’ailes.
Jeno, 64
Tussen Hongarije en de Hallepoort
trok je een spoor, Jeno, heen- en- terug
naar het dorp van je zus, je laatste woord
in je eerste taal weer thuisgekomen.
Fabrizio, 44
Je deelde een dak met bomen,
een bladerdak in het Zoniënwoud.
‘s Nachts keek je op, boven het harde hout het groene lover,
dacht aan je vrouw, je kinderen, stuurde hen dromen.
George, 35
George, opeens was de lucht op.
Je haalde adem, maar je longen gaven op.
35, zo voor je tijd,
raakte jij de stad en de stad jou kwijt.
Virgil, alias Gelu, 62
Virgil, je koesterde in je laatste dagen
slechts één verlangen nog: te worden gedragen
door moederhanden in je vaderland,
in Roemeense aarde te worden begraven.
Nadege, 38
Onderweg van moederschoot naar Moeder Aarde, Nadège,
maakte jij een mens, een meisje.
Ze is negen nu en draagt het gemis
van een moeder die bij haar oermoeder is.
Huseyin, alias Espe, 73
Jong voor je dagen, je gezicht
een venster waarin het leven weerkaatste, zon in je blik,
je hart naar het Oosten gericht,
Huseyin, welterusten.
Francis, alias Franck, 34
Opdracht. Als een zieke (die niet meer zoekt)
Je lijf languit te rusten leggen.
Daarna aanlengen in aarde.
En je adem? Donker. Dof. Dalend.
Marc, 54
l’année 68 fut aussi celle de ton bouleversement:
ton arrivée sur terre pour lire, dire, dessiner, peindre
Esthète sensible et maître de Blutch, ton chien-copain
les larmes de tes amis imbibent l’histoire de ta mémoire
Michel, 67
Michel, tu as dit, à l’UNESCO et à des milliers de gens, de bas en haut,
la misère est violence, il faut rompre le silence et chercher la paix,
Bernadette et toi avez répété ces mots et vécu mille mauvais lots,
Votre fille et tous tes enfants de cœur ont reçu mille ans de ta générosité.
Nicolae, 56
Oh Oh Nicolae, les étoiles sans frontières
allument leurs éternelles lumières
Et un foyer pour Lessie,
Et un brasier pour te réchauffer
Slawomir, 47
Je lag te sterven tussen steden –
Tussen stampij en ander leven
Dat maar niet zag hoe je verdween
In dat ene grote, in dat ene anekdotisch doods verleden.
Ahmed, 37
D’une Côte d’Ivoire à une gare du midi,
suds conjugués, tu as marché longtemps,
Ton patronyme signifie éléphant
force de la nature et de la mémoire infinie.
Serge, alias Gunthy, 55
Une force tranquille bordée d’un sourire
Gunthy, tant de fois tu as refait le monde
ta curiosité égale sans doute à ta jovialité
tes proches, au loin, percevront tes bonnes ondes.
Alain, alias le Nomade, 75
Un ami t’a nommé @lain le NO-made,
fier nomade, un mythe errant,
anti-système, responsable de toi-même,
ton esprit et ton café fort manqueront.
Valeriu, alias Mario, 58
Je groeide op
In de schaduw van je naam.
Waar je als een vrucht
(Als een cyste, een kanker) ontbonden lag te barsten.
Mohamed, 26
Ton corps tué au commissariat rue Royale, rapatrié vers l’Algérie
Terre que tu avais quittée pour l’Eldorado, grand mensonge d’ici
Ton ami Hicham et toi, sans papiers criminalisés, jamais plus anonymes,
Ton deuxième prénom te destine au paradis, amine Mohamed Amine.
Florentina, 46
Florentina, cinq années de Bruxelles,
avec Adriana, une amitié si belle,
vos trois enfants restés en Roumanie;
Emportez donc nos millions d’mercis
Grzegorz, 37
Grzegorz parmi les anonymes
La rue t’a avalé
Tes amis t’ont dit adieu
Tu reposes en Pologne auprès de ta famille
Jaroslaw, alias Mrówa, 45
Blaf naar de einder, mijn hond –
Zoals ik niet meer kan.
Mijn mond heeft een nieuwe meester.
En spreekt onbekende bevelen.
Ion, 40
derrière la tempête, moment de clarté
dernière marche funèbre, liberté
corbeaux aux milles couleurs
cicatrices les vives douleurs.
Litanie écrite par le Collectif des poètes bruxellois
et lue à la librairie des Météores (rue Haute) le 12 mai par Aliette Griz & Geert van Istendael
et durant la cérémonie du 25 mai à l’hôtel de ville de Bruxelles par Lotte Dodion & Milady Renoir.

